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Eclatobulle

Quelle chance !

3 Mars 2022 , Rédigé par Eclatobulle Publié dans #Sentiments

Quelle chance !

Un soir, je discutais avec Miguel. Je l’écoutais avec attention, comme à chaque fois. Miguel est de ces êtres rares. C’était une chance d’apprendre à le connaître. J’aime toujours autant me faire surprendre par la vie.

Nous parlions cinéma. Il me disait avoir été ému par cette histoire, celle d’un fils et de son père. Cela aurait pu se résumer ainsi. En l’écoutant, vint l’envie et je voulus écrire. J’écrivis.

Ceci n’est que fiction, bien sûr.

*************

Le fils était revenu au pays, récemment. Il était rentré parmi les siens alors que dans sa vie, le bateau s’était mis à tanguer. Il craignait même qu’il vint à chavirer. Dans un réflexe de survie, il avait suivi la trace, une poussière d’étoiles, invisible, imperceptible mais si réelle, qui l’avait immanquablement guidé vers ceux dont l’amour ne s’éteindrait qu’avec la mort.

Un port dans la tempête.

En ce jour de la fin de l’été, il avait gravi la volée de marches qui menait au premier étage. Il avait poussé la porte qui donne sur la cuisine. Comme toujours, elle n’était pas fermée. Il est entré. Immédiatement, il reconnut tout de l’endroit. Rien n’avait vraiment changé, sauf des détails. Une nouvelle horloge au mur. Au lieu des rossignols sur le fond du cadran, c’était désormais des hirondelles. C’était d’autant mieux. Il avait toujours préféré les hirondelles aux rossignols. Il savait bien pourquoi.

Il a fermé les yeux, en lâchant sa maigre valise qui résonna si peu du vide sur le sol. Il respira aussi fort qu’il put, comme s’il reprenait pour la première fois sa respiration depuis des semaines. Il était arrivé, il était vivant et il allait survivre. Il le savait maintenant. En franchissant le seuil de cette porte, il était entré dans ce cercle où seuls peuvent pénétrer les initiés, les protégeant ainsi de tout par de puissantes murailles invisibles : il était rentré dans sa famille, enfin ce qu’il en restait, à savoir son père.

Il rouvrit les yeux, pour détailler l’endroit. Maman était morte depuis longtemps déjà mais elle était toujours là, visiblement. Papa ne devait pas être loin. Tout trahissait sa présence proche. Le léger grésillement de la radio qui captait mal son émission de 18h, sa grille de mots croisés à moitié terminée. Le crayon de bois posé à côté, ainsi qu’une vieille gomme bien entamée. Son verre de vin était vide, la bouteille traînait là, à portée de main.

Il avança. Il contourna la table et se dirigea vers le salon. Il était là. Peut-être assoupi dans son fauteuil… Il dit, presque en s’excusant : « Papa ? »

Papa tourna la tête et nos regards se rencontrèrent, pour la première fois depuis neuf années. Il avait beaucoup vieilli. Il m’examina de la tête aux pieds.

D’une voix sobre et calme, il me dit : « Tu n’as pas changé ! », me chipant au passage les premiers mots. « Toi si ! » répliquai-je sans méchanceté. « Tu as vieilli ». Je ne savais plus mentir. Bien que ses genoux le faisaient souffrir, il se leva et vint à ma rencontre. Je m’approchai aussi.

« Viens là ! » lança-t-il, en m’ouvrant ses bras. Je posai mon menton sur son épaule puis dans le creux de son cou ridé. Il referma son étreinte. Je me pressai. Nous échangeâmes pendant de belles minutes les battements de nos cœurs, l’un contre l’autre. Nos vies s’unissaient sans fard, dans une simplicité sincère. Je déposai un baiser sur sa peau parcheminée.

Une rivière dans un désert.

Nous nous libérâmes. « As-tu faim ? » me demanda-t-il. Je répondis oui. Nous partîmes vers la cuisine. Il ouvrit le frigo, je m’installai sur la chaise, après en avoir reçu l’ordre. Il s’affaira. Ses gestes, plus lents mais précis, savaient. Un repas fut vite prêt. Tout en dînant, j’actualisai sa vie, ne lui laissant que peu d’occasions de me questionner en retour, lâchant sur lui une boulimie de questions.

Il comprit vite mon manège. Il patienta. Il m’observa et décrypta comme seul un père peut le faire avec son enfant, même lorsqu’il est vieux. L’amour d’un père ne s’altère pas au fil du temps. Il attendit que je vienne à lui.

Ce fut plusieurs jours après. Il était assis dehors sur le banc de pierre, construit de ses mains tordues par une vie de labeur. Des pierres qui chauffaient au soleil de midi et qui, le soir venu, restituaient leur chaleur jusque tard dans la nuit. Je pris place à ses côtés, calant mon épaule contre la sienne. Nous regardions tous deux dans le lointain les collines qui s’assombrissaient un peu plus à chaque instant. Au-dessus de nos têtes, les étoiles s’allumaient, révélant à nos yeux le livre des cieux.

« Tu crois au destin ? » demandai-je.

« Non » répondit-il platement. « Et toi ? »

« Je ne sais pas. J’ai le sentiment que certaines personnes sont nées pour souffrir, encore et encore. Ça semble sans fin » En prononçant ses mots, la digue céda et les larmes inondèrent mon visage. J’avais en moi tant de tristesse. Il posa sa main flétrie sur la mienne et je pouvais ressentir sa force. Les sanglots s’espacèrent peu à peu. Le déluge laissa place à la bruine.

« Quand est-il parti ? » questionna-t-il. Cela faisait onze mois, jour pour jour, et le disant, la honte s’empara de moi. Tout ce temps était passé et j’en étais toujours là, à pleurer si fort cet homme que j’aimais tant, auprès de qui j’avais découvert la vérité des sentiments.

La rage me vint dans la gorge. Je voulais en dire du mal, de désespoir peut-être. Des mots méchants que je ne pensais jamais jaillirent pour mourir aussitôt dans la nuit naissante. Comment le maudire ? C’était impossible, insupportable même car il y avait l’astralité, la temporalité, la gémellité.

Tout, tant, tellement.

Il serra ma main dans la sienne et déclara : « Pourquoi vouloir le maudire ? » Sa voix était apaisante. Il continua.

« Tu sais, mon fils. Si ta peine est si grande et que tu as si mal, c’est parce que tu as eu la chance de vivre un bonheur non moins immense. Au lieu de regretter cet amour que tu as perdu, chéris-le pour l’avoir vécu ! »

****************

Dans l’amphithéâtre de ma vie résonna un écho.

Un autre temps, un autre lieu, une autre histoire…

Et si... mais ce n’était qu’un rêve, bien sûr, encore que…

ces temps derniers, je vivais mes rêves.

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