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Eclatobulle

Riche et puissant !

12 Juillet 2015 , Rédigé par Eclatobulle Publié dans #Essai

Dans la rivière, j’ai jeté un petit caillou. En faisant cela, je ne pensais à rien. Il avait fait ploc en entrant dans l’eau et puis ce fut tout. Ce n’était qu’un petit caillou, de deux centimètres peut-être. Il y en avait tout autour de moi, des cailloux. Celui-ci, je pouvais encore le voir, immobile, posé sur le sable au fond de la rivière. Finalement, ce n’était peut-être pas un simple caillou. Il me semblait maintenant qu’il brillait. Oui, plus je le regardais, plus il brillait. Je m’approchais un peu plus, en écarquillant les yeux devant ce spectacle inattendu et captivant. A présent, je regrettais avoir lancé ce caillou. Il avait été à moi, le temps de quelques secondes. Ce caillou scintillait maintenant comme de l’or. Il avait même changé de couleur. Vaille que vaille, il fallait le récupérer. Il devait être précieux. Mes parents m’avaient appris la valeur des choses et le goût de l’or. Qui possédait de l’or était riche. Qui était riche était puissant. Qui était puissant était supérieur aux autres et bien meilleur surtout.

Je voulais être riche, puissant, supérieur et bien meilleur que nul autre avant tout ! Et ce caillou était une chance, sans doute la chance de ma vie. Je levais le nez vers le ciel, cherchant un signe. En regardant autour de moi, je pensais : il y avait peut-être des tonnes d’or qui attendaient d’être à moi. Je ramassais un autre caillou et je l’examinais attentivement. C’était un caillou comme l’autre, gris et lisse et aucune trace d’or. De rage, je lançais le caillou dans la rivière, près de l’autre qui scintillait comme une étoile désormais.

J’étais fasciné quand soudain, le second caillou se mit lui aussi à briller. Sur le lit de la rivière, il y avait maintenant deux pépites d’or étincelantes comme des soleils. Je ramassais une autre pierre, puis une autre et encore une autre. Il y avait tant et tant, et je pouvais les prendre sans peine. Et au contact de l’eau de la rivière, la pierre se transformait en or. Bientôt, ce fut tout le lit de la rivière qui brillait, tapissé d’un drap d’or. J’avais lancé tant et tant de cailloux dans la rivière que celle-ci avait désormais du mal à s’écouler.

Mais cela importait peu car j’avais à moi une montagne d’or. L’eau s’accumulait derrière mon barrage précieux, formant rapidement une mare, puis un étang et même un petit lac.

J’avais l’or, j’allais être riche, puissant, supérieur et meilleur que les autres en tout. Je décidais d’en remplir mes poches. Je constatais que la rivière de s’écoulait plus. L’or s’y érigeait en barrage brillant et implacable.

En bas, dans la vallée, j’entendis les femmes et les hommes du village. Je savais ce qui se disait mais que pouvait bien valoir l’eau du ruisseau en comparaison de tout l’or qui m’appartenait dorénavant ! D’ailleurs, cette eau était à moi car c’est elle qui avait choisi de me donner tout cet or. Comme un chien choisit son maître, l’eau du ruisseau avait choisi de me rendre riche, puissant, supérieur et meilleur que les autres pour tout.

Je devais m’en montrer digne. En approchant du petit lac, j’implorais l’eau de me donner à présent les moyens de défendre mon or. Dans l’instant qui suivit, douze grands guerriers d’or sortirent de l’eau, une grande épée d’or pendait à leurs côtés et une masse d’arme puissante et hérissée de pointes d’or tenait dans leur main droite.

Alors que le dernier grand guerrier en armure d’or sortait de l’eau, je pouvais entendre le brouhaha des villageois montant dans la montagne. Six grands guerriers vinrent prendre place à ma droite tandis que les six autres se plaçaient à ma gauche.

Les hommes arrivèrent enfin devant moi, mes grands guerriers et ma montagne d’or. Je pus lire dans leurs regards l’incompréhension et la stupéfaction qui les habitaient.

Ce fut Jacques le sage qui rompit le silence.

“Mon garçon, que fais-tu ici ? Que ce passe-t-il et qui sont ces hommes en armes ? D’où vient tout cet or qui fait barrage à l’eau douce de notre rivière nourricière ?”

Je répondis.

“Cet or est à moi et ces guerriers sont les miens. Qui volera mon or périra par la lame et les épines !”

J’avais parlé si clair et si fort que les jambes des hommes s’ébranlèrent. Oui, je le constatais, mon or m’avait rendu riche et puissant. J’étais supérieur à tous ces hommes plus grands, plus forts et plus âgés que moi.

Jacques le sage prit à nouveau la parole.

“Mon garçon, ton or ne nous intéresse pas, ce que nous voulons, c’est l’eau. L’eau est la vie, pour chacun d’entre nous, à commencer par toi. Sans eau, nous mourrons tous, à commencer par toi car sans eau, il ne peut y avoir de vie. Prends ton or, tes guerriers et va t’en où il te semblera bon d’aller car tu es riche et puissant désormais. Nous te demandons seulement de laisser à nouveau l’eau couler vers la vallée.”

Les hommes discutèrent entre eux un moment puis tournèrent les talons pour redescendre dans la vallée, mais j’en avais décidé autrement.

D’un geste net, je fis signe aux grands guerriers d’or de tuer et ils obéirent. Par leurs lames étincelantes, le sang coula à flots. Ainsi, ils massacrèrent les hommes parmi lesquels il y avait mon père. Puis ils descendirent dans la vallée pour y apporter plus de mort encore. Ils tuèrent alors les femmes, dont ma mère, et les enfants, dont mes frères et mes sœurs. La vallée était à présent à moi et à moi seul et j’avais soif de conquêtes désormais. Il me fallait un peuple à asservir. Pour y parvenir, il me fallait plus de guerriers et je retournais auprès de l’eau qui m’avait choisi pour y obtenir l’aide dont j’avais besoin. Ce fut dix mille guerriers en armure d’or qui sortirent de l’eau. Je reçus aussi en présent une armure à ma taille ainsi qu’une épée d’or appelée Furie.

Avec Furie en main et suivi de mes dix mille guerriers d’or, je partis à la conquête des vallées avoisinantes, répandant la désolation partout. Plus Furie donnait la mort, plus je sentais sa puissance grandir et moi avec elle. A présent, j’étais presque aussi grand que mes guerriers, qui mesuraient chacun huit pieds de haut. Nous étions invincibles. Les montagnes ne suffisaient plus et les plaines devinrent ensuite l’objet de mes convoitises.

Dans les plaines, les hommes étaient nombreux et riches. J’obtins de l’eau ma bienfaitrice un million de guerriers en armure d’or et nous nous répandîmes sur la plaine avec célérité, anéantissant tout sur notre passage : nous fûmes le fléau.

Furie était désormais si puissante, et moi avec elle, que nous pouvions fendre cent hommes à la fois, tranchant les corps comme la faux coupe avec précision le blé mûr. Dans la bataille, nous avancions en ligne, formant un mur étincelant maculé du sang des hommes, des femmes et des enfants. Nous vidâmes la plaine de ses occupants et je devins le seul maître du pays. A nos frontières, de grands murs commençaient à se dresser de toutes parts, le bruit se répandant qu’une armée irrésistible de grands guerriers d’or exterminait tout sur son passage.

Moi et mon armée de grands guerriers d’or étions enfermés comme du bétail, cernés de toutes parts par de hauts murs hérissés de piques et de pieux. Très vite, j’étouffais, je me sentais prisonnier de ce pays et je retournai auprès de mon eau généreuse. Je lui demandais alors un milliard de guerriers pour anéantir ceux qui vivaient derrière les hauts murs.

Alors, un éclair déchira le ciel, en faisant siffler l’air autour de moi : mes guerriers avaient tous disparu. L’or aussi avait disparu, ainsi que Furie. La rivière coulait à nouveau paisiblement. Sur le sol, je remarquai une pierre à la forme étrange. Je m’accroupis pour la ramasser. A mon contact, la pierre devint une petite fiole sur laquelle une inscription était gravée. En lisant, je compris et remerciais l’eau merveilleuse.

Je redescendis dans la vallée et me rendis seul au pied du haut mur le plus proche. Avant qu’on me capture, je bus le contenu de la fiole et je la brisai avec rage sur le sol. On me mena très vite à la place haute pour m’exécuter devant le peuple soulagé d’en finir avec le responsable de tant de morts d’hommes, de femmes et d’enfants. Les gens me crachaient au visage, m’insultaient, me lançaient des pierres.

Sur mon visage, nulle crainte ni de peur !

On me déshabilla et on me livra finalement au bourreau, sans même me faire de procès, afin de me faire endurer mille supplices. Ce dernier trancha cent fois, mille fois ma chair. Ce qui restait de moi fut jeté dans une fosse…

Les rats furent les premiers contaminés car ils mangèrent mes restes dans la fosse. Puis les chiens et les chats chargés de détruire les rats dans la ville furent les suivants. De Furie, j’étais devenu Virus.

Virus empoisonna tout et extermina toute vie finalement. J’avais ainsi conquis le monde. C’était désormais mon monde !

Soudain, je me suis réveillé, le corps en sueur !

Il me fallut quelques secondes pour comprendre que j’avais fait un cauchemar. Rien de tout cela n’était réalité. J’avais décidément trop mangé ce soir. Sur ma gauche, posé sur le bureau, l’écran de l’ordinateur passait en boucle l’écran de veille. Je posais une main sur mon front puis sur mes cheveux humides.

Je me suis levé et j’ai touché le clavier de l’ordinateur. L’écran de veille laissa presque instantanément place au bureau. Je décidais de l’éteindre puis je me recouchais.

Le lendemain matin, je me levais avec des pensées sombres, teintées du souvenir de mon cauchemar. Je déjeunais et je me préparais sans conviction puis je pris le métro pour me rendre au travail, “Strange Days” des Doors tournant en boucle dans mon casque pour me rendre le trajet plus agréable.

Autour de la machine à café, les discussions allaient déjà bon train et j’approchais en distillant ici et là le bonjour rituel.

“Ah Fred, tu as entendu ça !” dit Nathalie en m’interpellant.

“Entendu quoi ?” lui répondis-je l’air interrogatif.

“Oh, toi tu n’as pas écouté les infos ce matin ! On est tous fauché mon Fred. Les ordinateurs du monde entier ont subi une attaque massive et inédite depuis la création d’internet. Une sorte de super virus qui s’attaque à tout type de systèmes informatiques. Il perce aussi facilement qu’un caillou entrant dans l’eau n’importe quel pare-feu et il récupère ensuite toutes les données bancaires. On parle d’un casse planétaire… toutes les banques y ont laissé des plumes, paraît que ça se monte en milliards de milliards…”

“Un virus…” répétais-je, les yeux dans le vague ! J’ajoutais en m’éloignant :

“Riche et puissant !”

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